Le procès

Maxime a été jugé pendant cinq jour en octobre 2024, près de quatre ans après son crime. Il a maintenant 22 ans, il est bien bâti, il porte une barbe et des cheveux bruns. Il a le visage assez doux sous un physique plutôt rustre. Ce qui m’a frappée, c’est qu’il a toujours le regard qui semble chercher quelque chose, comme une bouée de sauvetage. Il est un spectateur poli de son procès, il n’intervient pas sauf si on l’interroge. Il écoute sagement, ne prend pas de note et échange assez peu avec ses avocats en public. Il n’est pas désintéressé, mais il semble ne pas vouloir intervenir pour sa défense car il pense qu’il ne le mérite pas. Il reconnait les faits et en assume la responsabilité ; il ne dira jamais qu’il a fait ça à cause du crime de son père, mais il mentionne plusieurs fois les failles dans son éducation. Lorsqu’il entre dans le box tous les matins, il salue d’un signe de tête poli la Cour et le public. C’est assez touchant, car ça semble sincère (je ne pense pas qu’il ait fait ça pour se faire bien voir ou parce qu’on le lui avait demandé).

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Il n’aura, en revanche, aucun regard pour ses parents, qui eux ne l’ont pas quitté des yeux de la semaine. Aucune réaction non plus lorsqu’ils témoigneront à la barre. Il restera le visage fermé, regardant ailleurs. C’était assez pathétique de voir ces parents – dont ce n’était pas le procès, mais que tout le monde a malgré tout jugés sévèrement – tenter vainement de justifier leurs erreurs, et présenter des excuses tardives et peu convaincantes aux parties civiles pour le crime de leur fils. Mais à lui justement, ils n’en ont présenté aucunes pour avoir gâché son enfance et ne l’avoir jamais soutenu ou aidé lorsqu’il en avait besoin. Ils ont simplement montré qu’ils semblaient n’avoir toujours pas compris, et c’est bien dommage pour Maxime qui une fois de plus va avoir besoin d’aide pour se soigner et recommencer sa vie sur de nouvelles bases, mais ne la trouvera probablement pas auprès d’eux. Lors d’une pause d’audience, j’ai entendu une proche de la famille dire aux parents qu’ils ne devraient plus aller le voir ensemble au parloir car ça ne lui faisait pas du bien. « Vous ne faites que vous disputer devant lui ! Pourquoi vous vous obstinez à y aller ensemble ? » Pour son bien sans doute, pour donner l’illusion de l’unité afin de ne pas le traumatiser…

Lors de ses deux témoignages devant la Cour, Maxime évoque rapidement sa vie et les drames qu’il a vécu, sans s’attarder sur les détails ou sur ses émotions. En revanche, il parle longuement et avec animation d’André, comme s’il revivait les émotions fortes que l’agriculteur lui avaient inspirées. Il s’excuse plusieurs fois de devoir « dire du mal de lui », mais « c’est la seule façon de raconter les faits » tels qu’il les a vécus. Il confirme que l’agriculteur possédait une arme, ce que tous ses partisans avaient nié malgré les évidences : plusieurs témoins l’avaient vu tirer en direction de promeneurs qui avaient pénétré (par mégarde) sur sa propriété, ou autour de la maison de son voisin qui avait tiré sur ses chats avec une carabine ; le Directeur d’Enquête relatera également (photos à l’appui) avoir trouvé des dizaines de cartouches (percutées ou non) dans toute la maison, ce que Mireille et Maïté expliqueront par le fait qu’ils ramassaient les cartouches qu’ils trouvaient dans les champs et les déposaient au hasard dans la maison au lieu de s’en débarrasser…

Maxime relate également son coup de foudre pour Maïté et leur histoire en laquelle il a cru jusqu’au bout. Il admet avoir été maladroit en insistant pour la voir et lui parler dans les jours qui ont précédé le drame, mais il ne sait pas expliquer que c’était parce qu’il avait besoin de réponses sur la fin de leur relation – ce qui est en fait normal, ou en tout cas compréhensible, de la part de quelqu’un qui vient de se faire quitter sans explication claire. Mais à l’ère de MeToo et de la prise de conscience de la société sur les violences envers les femmes, ce comportement passe mal auprès de la Cour. L’un de ses avocats, Me Gallo, tentera de plaider la folie amoureuse, arguant qu’il aimait tellement sa compagne qu’il a tué celui dont il pensait qu’il lui faisait du mal. Il l’a délivrée, tel un preux chevalier, d’un mal qui malheureusement n’existait pas.

Son confrère, Me Rimondi, tente une approche plus sage et moins romanesque : dressant un parallèle habile avec le drame de l’usine AZF[1] (affaire dans laquelle il a lui-même plaidé), il argue que Maxime et André étaient tout simplement deux éléments qui étaient inoffensifs lorsqu’ils se tenaient à distance l’un de l’autre, mais explosifs et dévastateurs lorsqu’ils étaient ensemble. Ne donnant de gants ni à Maxime ni à André, il rappelle que malgré l’horreur incontestable du geste de Maxime, il s’est dirigé tout particulièrement vers un individu qui le traitait mal et lui faisait peur – ainsi qu’à  beaucoup d’autres autour de lui.

[1] L’usine AZF était une usine d’agrochimie (AZote Fertilisants) située à Toulouse, dans la Haute-Garonne. Un de ses hangars, contenant des nitrates déclassés, a explosé le 21 septembre 2001, entraînant la mort de 31 personnes, faisant 2500 blessés et de lourds dégâts matériels.

Quid de la préméditation ?

C’est l’enjeu principal de ce procès. Maxime G-G est inculpé d’assassinat, ce qui veut dire qu’il aurait prémédité son crime, et risque par conséquent la réclusion criminelle à perpétuité. Mais la préméditation n’est pas évidente dans ce dossier.

Tout d’abord, parmi la multitude de messages qu’il envoie à Maïté dans les deux ou trois jours précédant le crime, il y en a un où il dit que « cette fois, [André] a vraiment dépassé les bornes » et qu’il va venir le tuer. On ne sait pas bien à quoi Maxime se réfère quand il dit qu’André a dépassé les bornes, mais on suppose qu’il est déjà dans l’état de délire où il s’imagine que l’agriculteur s’en prend physiquement à sa femme et à sa fille. Est-il sérieux quand il dit qu’il va venir le tuer ? Difficile à affirmer vu son état psychologique.

Ensuite, comme on l’a vu plus haut, Maxime est allé chez un ami la veille du drame et a récupéré une arme. Pourquoi ? Il ne l’explique pas vraiment, mais il semblerait que ce soit sous l’impulsion de son meilleur ami (présent lui aussi ce jour-là) qui est chasseur et qui voulait que Maxime ait une arme pour pouvoir l’emmener avec lui.

Son rapport aux armes est toutefois ambigu ; il a comme une fascination morbide, une attirance malsaine pour elles. « Je ne dois pas avoir accès aux armes […] Je ne sais pas gérer le fait d’avoir une arme dans les mains, je ne sais pas gérer les choses » dira-t-il spontanément lors de sa première déclaration devant la Cour. Une phrase qui fait froid dans le dos, mais qui illustre le mal être du jeune homme et sa quête vaine pour trouver de l’aide, des limites, un équilibre dans son enfance. Chaque fois qu’il a eu un accident avec une arme jusqu’au soir fatidique du crime, il s’est fait du mal à lui-même ou a menacé de le faire. Comme des appels au secours, des tentatives de provoquer un électrochoc chez ses proches qui n’est jamais venu.

Un dernier élément important est que Maxime dit que ce soir du 23 janvier, il était venu pour voir Maïté et discuter avec André ; mais alors, pourquoi était-il armé ? Le plus gros doute dans ce dossier est de savoir si Maxime est venu depuis chez lui avec l’arme du crime, ou si elle était déjà sur place. Selon la partie civile, Maxime est bel et bien venu armé pour en découdre avec André, ce qui confirmerait la préméditation. Mais on a retrouvé quatre armes appartenant à Maxime chez André. Selon lui, il les avait apportées quelques temps auparavant car sa mère n’en voulait pas chez elle, et André était au courant (ce que Maïté confirmera). La jeune femme dira cependant qu’il les avait ramenées chez lui quelques temps avant le drame (mais elle ne se souvient plus quand), ce que Maxime nie.

Si les armes étaient déjà sur place, cela soulève un doute sur la préméditation. De plus, pourquoi amener quatre armes au lieu d’une pour abattre un homme ? Qui plus est en pleine nuit, dans la neige, à travers la forêt et sur plusieurs kilomètres ? Car les armes de chasse, ça pèse lourd ! Difficile donc d’imaginer le jeune homme portant plus d’une dizaine de kilos d’armes dans des conditions difficiles pour aller exécuter quelqu’un. C’est d’ailleurs ce qu’argueront ses avocats, qui tenteront de faire commuer le chef d’assassinat en meurtre, voire en violences volontaires ayant entrainé la mort sans intention de la donner. Pour l’anecdote, c’est ce que la Cour avait retenu pour son père, qui avait été condamné à 10 ans de prison et en avait fait 4, alors qu’il était allé chercher un fusil et avait tiré deux balles mortelles à bout portant sur son beau-père…

Verdict

Après 7 heures de délibérations, les jurés ont finalement suivi à peu de choses près les réquisitions de l’avocat général, et ont condamné Maxime G-G pour assassinat à 20 de réclusion criminelle (l’AG en avait requis 22), sans peine de sûreté, et à 10 ans d’obligation de soins et de suivi socio-judiciaire. Une peine relativement clémente pour un assassinat, qui tient sans doute compte du passé cabossé de Maxime et de ses progrès depuis son incarcération, mais qui semble particulièrement lourde par rapport à celle que son père avait reçue pour des faits similaires. Cela donne le sentiment que la justice s’en voulait d’avoir été trop clémente avec le père et avait décidé de punir plus sévèrement le fils pour faire bonne mesure.

Entendez-moi bien : Maxime a tué un homme et il méritait d’être condamné, il n’y a aucun doute là-dessus. Et peut-être qu’après tout, être dans un environnement cadré, loin de ses parents toxiques, avec un suivi psychologique adapté, est la meilleure chose qui puisse lui arriver pour reconstruire sa vie sur de bonnes bases. Car sans peine de sûreté, il peut espérer sortir de prison lorsqu’il aura la petite trentaine. Espérons qu’il fera alors les bons choix, car il aura encore sa vie devant lui.

André, lui, ne l’a plus. Sa fille Maïté a repris son exploitation pour honorer sa mémoire, et « [s]’oublie au travail » pour tenter de surmonter ce drame. Chacun au village a repris sa vie, avec le fantôme du cowboy qui plane encore au-dessus des champs. L’un des amis proches d’André raconte : « Je pense à lui à chaque fois que je vais à la chasse, parce que j’utilise le même type d’arme à double canon que celle qui l’a tué. On tire une première balle non létale pour arrêter l’animal ; et puis la deuxième balle… » Il se tait, la voix étranglée, sous le coup de l’émotion.

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Post scriptum

Cette semaine de procès s’est achevée un vendredi soir, après 23h00. En sortant du tribunal, alors que l’audience civile commençait, je suis allée boire un verre au centre-ville. L’ambiance était festive, il y avait plein de jeunes qui riaient, trinquaient ou dansaient avec insouciance, et alors que je sirotais un cocktail en regardant autour de moi, j’ai été saisie par la beauté et la fragilité de ce que je voyais.

 

On n’est pas tous égaux face au bonheur. Pour certain, c’est facile, parce qu’ils ont grandi dans le bon environnement ou ont su s’extirper d’un milieu difficile grâce à leur caractère. Pour d’autres, c’est une chimère, quelque chose qui n’arrivera jamais qu’aux autres. Parmi eux, certains dorment seuls pendant que ces autres boivent et dansent, libres, parce que la mort et le malheur ne rodent pas autour d’eux depuis toujours.

 

Je me suis réjouie d’être là, parmi les heureux, mais j’ai aussi ressenti une sincère tristesse pour ces deux jeunes gens qui se sont retrouvés face à face dans une Cour d’Assises, alors qu’ils auraient pu faire partie de ces jeunes insouciants qui s’aiment et s’amusent en célébrant l’arrivée du weekend.

 

J’espère qu’ils pourront tous les deux se reconstruire et s’autoriser à être heureux un jour…

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