Chronologie des faits

Afin d’éclairer la tragédie qui s’est jouée dans ce hameau isolé en cette nuit froide de janvier 2021, il faut maintenant rembobiner jusqu’à l’élément déclencheur qui a fait se rencontrer deux familles que tout opposait et dont les chemins n’auraient jamais dû se croiser.

Le cowboy et le coup de foudre

Tout commence à l’été 2018. Maxime vit chez sa mère et l’aide à entretenir sa ferme. Un beau jour, alors qu’il bricole sur un tracteur, un curieux personnage débarque et le complimente sur son travail. Cet homme, c’est André, une « légende » du village au style particulier. Il a les cheveux longs sous son grand chapeau, il porte des jeans et des chemises à carreaux, ce qui lui vaut le surnom de cowboy – un surnom qui vient aussi du fait qu’il est très territorial et n’apprécie pas qu’on s’approche trop près de sa propriété, n’hésitant pas à effrayer les plus aventureux à l’aide de son tracteur ou même de son fusil.

Maxime ne connait André que de nom, et il est assez impressionné qu’il vienne le démarcher directement chez lui. Mais André n’est pas désintéressé : il a besoin d’un ouvrier compétent pour moissonner un de ses champs auquel il n’a plus le droit d’accéder car il se trouve trop près de chez un autre agriculteur qui a obtenu une injonction d’éloignement contre lui. La cause ? André aurait tué plusieurs de ses brebis en les écrasant avec son tracteur car elles se seraient malencontreusement échappées de leur enclos pour se retrouver sur une parcelle d’André. Un incident qui caractérise le personnage, sanguin et prêt à tout lorsqu’il s’agit d’en découdre avec quelqu’un qui agit contre sa volonté… C’est donc cette fameuse parcelle qu’André propose à Maxime de moissonner, et celui-ci accepte. Car Maxime n’est pas non plus désintéressé ; et pour cause, avec le père ce jour-là, il y a la fille…

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Maïté, belle jeune femme aux longs cheveux châtains ondulés, la taille fine et le regard franc et intelligent. C’est le coup de foudre – Maxime dira que c’est la première fois qu’il ressent quelque chose d’aussi fort pour une fille. Soudain, la grisaille constante de son ciel se dissipe, et le soleil Maïté brille dans sa vie. « C’est la plus belle chose qui me soit arrivé », relatera-t-il pudiquement à la barre. Il faut dire que dans la vie de Maxime, les belles choses sont rares. Les deux jeunes gens se mettent rapidement en couple, mais leur idylle ne plait pas à la mère de Maxime, qui n’apprécie pas André. « C’est un fou furieux » lui dit-elle, appuyée par d’autres dans le village. Il faut dire qu’André ne soigne pas vraiment sa réputation, entre coups de sang spectaculaires et mode de vie particulier : il vit reclus dans sa ferme à l’écart du village avec sa femme et sa fille, et la famille a très peu de contacts avec l’extérieur. Pas de téléphones portables, des époux qui font chambre à part, des chats qui vivent avec eux dans un désordre total, un rythme de travail qui diffère de ce qui se fait habituellement dans le milieu… Bref, il n’en faut pas plus pour qu’André soit perçu à tout le moins comme un original. Mais Maxime n’en a cure, il est amoureux et très investi dans sa relation avec Maïté, il n’écoute donc pas les avertissements de sa mère.

Lorsqu’il rencontre André, Maxime prépare un CAP Agricole et fait son apprentissage chez Mr D, près de chez sa mère. L’apprentissage se passe bien, Mr D est très content du jeune homme qu’il décrit comme calme, travailleur et compétent. Il ne rechigne pas à la tâche, il ne se plaint jamais, il n’a pas de sautes d’humeur ou d’accès de colère, il est poli et réceptif aux remarques sur son travail en vue de s’améliorer. Il veut bien faire, et il se donne à fond pour réaliser son rêve de devenir exploitant agricole. Maxime à son tour n’a que des choses positives à dire sur son patron : il le traite avec respect, il est pédagogue, et il est en règle avec lui administrativement et financièrement. Maxime est heureux chez lui, et son travail lui procure une stabilité qu’il peinait à trouver jusque-là.

Lorsqu’il se met en couple avec Maïté, il se rend presque tous les jours à la ferme d’André après sa journée de travail, où il aide avec les taches agricoles. Des journées bien remplies donc, et un rythme de travail intense qui finit par l’épuiser. Sa mère s’inquiète et demande à André d’arrêter de faire travailler Maxime le soir, mais Maxime choisit son camp. Sous l’influence de sa compagne, il décide de rompre son contrat avec Mr D. C’est d’ailleurs la jeune femme qui annoncera la nouvelle à l’agriculteur, Maxime n’ayant pas trouvé le courage (ou la volonté ?) de quitter son patron. Mr D racontera à la barre qu’un soir de septembre 2020 (4 mois avant le drame), Maïté et Maxime sont venus le voir chez lui ; Maxime avait l’air soucieux et ne parlait pas beaucoup, et sans préambule Maïté lui a annoncé que Maxime souhaitait rompre son contrat d’apprentissage pour aller travailler chez eux. « Je lui ai demandé [à Maxime] si c’était ce qu’il voulait et il m’a dit oui », relate l’agriculteur. Les trois boivent ensuite un verre ensemble et discutent des formalités de rupture du contrat, puis le couple s’en va. Ce sera l’avant-dernière fois que Mr D verra le jeune homme.

Le poids de la famille

Maxime raconte que jusque-là, ses relations avec André étaient plutôt bonnes. Il avait son caractère, et Maxime était parfois sceptique quant aux méthodes de l’agriculteur, mais dans l’ensemble ils s’entendaient bien. Les choses ont commencé à tourner au vinaigre dès qu’André est devenu son maitre d’apprentissage. Maxime raconte qu’André était irascible, ne donnait pas de consignes claires, critiquait sans arrêt son travail, et le traitait régulièrement de bon à rien. Selon l’experte psychologue Mme Fournier, « il a subi cette violence de manière contenue, même s’il se sentait humilié ». « Tout ce qui comptait pour moi, c’était Maïté », raconte Maxime. « Je voulais être avec elle, alors je ne disais rien » quand André le malmenait. Il essayait même de s’améliorer, de trouver grâce aux yeux de ce patron qui était aussi son beau-père. Mais il n’y est pas parvenu.

André n’est plus là pour donner sa version des faits, mais il semble que Maxime ne correspondait pas à son idéal de gendre – et de potentiel repreneur de son exploitation. « Les gens comme ta famille, ça fait pas des hommes », lui aurait-il dit lors d’une énième remontrance sur son travail. Une remarque cruelle pour le jeune homme qui a toujours souffert des conséquences du crime de son père. Petit à petit, inexorablement, il voit s’éloigner son rêve d’une vie heureuse, exerçant le métier qu’il a choisi avec la femme qu’il aime. Car face au mécontentement grandissant de son père, Maïté s’éloigne de plus en plus de Maxime.

A la barre, la jeune femme a du mal à parler de ses sentiments pour lui – on peut comprendre qu’elle n’ait plus envie de parler d’amour quand il s’agit de l’homme qui a tué son père – mais on devine que dans les mois qui ont précédé le drame, elle était déchirée entre les deux hommes. D’un côté, son père, son héros, celui qui lui a tout appris et qui a fait d’elle la jeune femme forte qu’elle est aujourd’hui ; de l’autre, son compagnon, qu’elle aime et en qui elle croit. Car c’est elle qui l’a aidé à réintégrer son lycée pour continuer son CAP, qu’il avait abandonné après l’incident des tirs en l’air avec sa mère. Elle aussi qui l’avait encouragé à venir faire son apprentissage chez son père, pour qu’ils puissent passer plus de temps ensemble. Alors, quand elle voit que Maxime ne parvient pas à trouver sa place dans l’exploitation et que son père est mécontent de lui, elle se sent sans doute coupable de leur avoir donné de faux espoirs à tous les deux. Et comme elle les aime tous les deux, elle ne veut pas se retrouver au milieu de leurs disputes. Alors elle préfère, peut-être un peu lâchement, prendre ses distances avec Maxime, parce que c’est plus facile qu’avec son père, parce que la famille passe avant tout. C’est comme ça dans ce milieu, on fait tout ensemble, on est uni dans le travail, et les frivolités des amours adolescentes ne font pas le poids face au devoir qu’impose la tradition familiale.

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Après les moissons, le temps des ruptures

Les tensions entre André et Maxime vont mener à une nouvelle série de ruptures – et rappelez-vous, lecteur, ce que les ruptures en série provoquent chez Maxime. Il y a d’abord la rupture sentimentale avec Maïté, qui intervient pendant l’hiver 2020. Une rupture qui n’est pas claire et qui a plus l’air d’une pause, Maïté semblant indécise quant à l’avenir de leur relation. Une confusion qui rappelle sans doute inconsciemment à Maxime la rupture de ses parents. Il racontera à la psychologue Mme Fournier qu’après leur rupture en 2009, Thierry et Emma ont en quelque sorte ‘fait semblant’ de se remettre ensemble pour ne pas traumatiser leurs enfants. Cette ‘comédie’ durera jusqu’au crime et à l’arrestation de Thierry. Après ça, la séparation sera effective parce que le père sera physiquement enfermé en prison. Mme Fournier dira que Maxime n’a pas vraiment intégré le fait que ses parents soient séparés, et pendant longtemps il a pensé qu’ils étaient toujours ensemble (alors qu’ils ne l’étaient plus) – un non-dit de plus qui a engendré la confusion dans son esprit et généré de l’angoisse.

Il semble qu’encore aujourd’hui, les parents aient une relation pas claire ; ils ont tous les deux assisté au procès de leur fils, tantôt l’un à côté de l’autre, unis comme un couple normal autour de leurs enfants, tantôt séparément, chacun d’un côté de la salle avec leur clan respectif, comme des ennemis. Emma semblait avoir peur de Thierry. Rappelons qu’au-delà d’être son ex-mari et le père de ses enfants, il est également le meurtrier de son père ! Comment alors se tenir à ses côtés sans ressentir de l’effroi ou de la colère ? Pour en revenir à la rupture entre Maxime et Maïté, il n’est donc pas étonnant que le jeune homme n’ait pas facilement compris et intégré la décision de sa compagne ; d’une part parce qu’elle n’était pas claire, et d’autre part parce qu’il n’avait pas les armes émotionnelles pour le faire, étant donné que son seul exemple en la matière soit celui de ses parents, qui est désastreux. Rappelons aussi qu’à l’époque, Maxime a 18 ans, c’est son premier chagrin d’amour, et chacun peut s’identifier à la peine qu’il a dû ressentir – qui n’a pas cru qu’il/elle ne se remettrait jamais de sa première rupture !

En parallèle, André décide de rompre son contrat d’apprentissage avec Maxime. Mais là encore, rien n’est clair. Car il faut savoir que depuis le début, Maxime travaille chez lui sans contrat, et sans être payé. Les papiers avaient soi-disant été préparés, mais jamais envoyés. Maxime n’était donc pas en règle ni avec son lycée, ni avec les organismes sociaux, et il n’était pas assuré en cas d’accident au travail. Un manquement grave de la part de son employeur, dont il avait conscience mais qu’il a une fois de plus laissé couler par amour pour Maïté. Sa mère a tenté de le convaincre plusieurs fois de régulariser la situation, en vain. Au moment de se défaire de Maxime donc, pas de formalités autour d’un verre comme ce fut le cas avec Mr D, mais un renvoi oral et sans ménagement : « Retourne t’amuser chez toi ! » lui balance André. Lorsqu’il relate cette phrase à la barre, Maxime ajoute candidement « alors que je ne me suis jamais amusé chez moi… »

On lui demande brusquement de ne plus revenir à la ferme, et lui perd tous ses repères. Il est épuisé, il ne sait plus comment se positionner face à la famille de Maïté, et ça commence à « bouillonner dans [son] cerveau ». Autrement dit la peur de l’abandon se réveille, l’angoisse monte, et il perd le contrôle de ses émotions. Il ne dort plus, ne mange plus, et présente tous les symptômes d’un état dépressif. Il essaie désespérément, maladroitement, de reprendre sa relation avec Maïté. Il lui envoie des messages – parfois des dizaines par jour – et devant son silence assourdissant, il commence à développer un scenario dans lequel André serait à l’origine de la décision de sa fille de le quitter. Plus les jours passent, et plus le personnage d’André noircit dans l’esprit de Maxime. Il le pense violent avec sa femme et sa fille, les terrorisant au point qu’elles n’osent pas appeler au secours. Il l’imagine sombrer dans l’alcool, alors que l’enquête tendra à montrer qu’André ne s’alcoolisait pas de manière anormale. Bref, il le voit devenir fou, alors que c’est à lui que c’est en train d’arriver.

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