Maxime G-G : « La racine du mal »
Du 7 au 11 octobre 2024 s’est tenu à la Cour d’Assises d’Annecy le procès de Maxime G-G, 22 ans. Il comparaissait pour l’assassinat de son beau-père, André, ainsi que pour violences volontaires sur sa belle-mère Mireille et sur son ex-compagne Maïté. Cinq jours de procès pour un jeune homme à peine adulte au moment des faits, et dont l’histoire personnelle laissait présager le pire, comme dans une tragédie.
Nuit d’horreur à la ferme
Il est 22h53 le samedi 23 janvier 2021 lorsque les gendarmes reçoivent l’appel d’une jeune femme paniquée qui leur annonce dans un chuchotement tremblant : « On vient de tuer mon père, aidez-moi ». Maïté, la petite vingtaine, se trouve à l’étage d’une ferme isolée au nord d’Annecy, en Haute-Savoie. Elle explique à l’opérateur du CORG[1] que son petit ami Maxime, 19 ans, a tiré sur son père avant de s’acharner sur lui avec un bâton – ou un manche d’outil – et qu’il a également agressé sa mère. L’opérateur au bout du fil est tendu ; en effet, un mois auparavant, trois gendarmes avaient été tués par un forcené armé d’un fusil de chasse alors qu’ils intervenaient pour des violences conjugales sur la commune de Saint-Just, dans le Puy-de-Dôme, afin de porter secours à une femme menacée par son mari. Face à une situation potentiellement similaire, les grands moyens sont déployés et plusieurs dizaines de gendarmes se positionnent autour de la ferme, dans le silence feutré de cette nuit d’hiver. Le calvaire de Maïté et de sa mère durera plusieurs heures, jusqu’à ce que la jeune femme parvienne à s’échapper vers 1h00 du matin et que Maxime, se lançant à sa poursuite, soit arrêté par les militaires.
[1] Le Centre d’Operations et de Renseignement de la Gendarmerie, qui reçoit les appels d’urgence lorsqu’on appelle le 17.

Ceux-ci découvrent alors le corps sans vie d’André, le père de Maïté, dans le garage de la ferme. Il a reçu une balle de calibre 12 dans le thorax et une autre de calibre 9,3x74R (une munition de grande chasse, souvent utilisée pour abattre les sangliers), dans la tête. Les deux balles ont été tirées avec la même arme, un fusil de chasse à double canon qui git, brisé, près du corps de la victime. Sa femme Mireille a la tête en sang mais elle est consciente ; le médecin légiste qui l’examine plus tard dans la nuit constate trois plaies au niveau du crâne causées par un objet contondant de type batte de baseball ou manche d’outil. Elle semble également avoir reçu un coup de poing dans l’œil. Le médecin légiste n’exclut pas qu’une des plaies au niveau du crâne ait été causée par une chute, mais Mireille a perdu connaissance pendant son agression et ne se souvient pas de tous les détails. Sa fille Maïté s’en sort avec plusieurs hématomes sur le visage et la tête, et quelques lésions superficielles sur le reste du corps. Elle racontera avoir reçu ces coups de Maxime alors qu’elle s’interposait entre lui et son père, qui était au sol (et probablement déjà mort).
Aucune des deux femmes ne gardera de séquelles physiques de leur agression, ce qui laisse penser que toute la violence et la rage de Maxime étaient ce soir-là destinées à André et lui seul ; le jeune homme est en effet resté un long moment avec les deux femmes dans l’habitation entre la mort d’André et l’intervention des gendarmes, mais il n’était plus armé et ne les a plus agressées. Alors, pourquoi un tel accès de rage envers celui qui, jusqu’il y a peu, était encore son beau-père et patron ?
Retour à l’origine du drame, à la racine du mal.
Chronique d’un drame annoncé
Mauvaise graine
Maxime G-G, c’est un nom composé de malheur. Lorsqu’il a 18 mois, sa tante maternelle se donne la mort sans expliquer son geste. Elle laisse derrière elle Chloé, sa fille de deux ans, qui sera recueillie par les parents de Maxime. Cet évènement marque le début de tensions majeures entre les familles paternelle et maternelle de Maxime, avec les enfants comme témoins impuissants. Comme l’a expliqué Valérie Fournier, la psychologue qui a expertisé Maxime pour son procès, il était l’aîné, puis il ne l’a plus été. Un changement de place qu’il n’a pas nécessairement ressenti à l’époque, mais que ses grands-parents paternels se sont chargés de lui faire comprendre en le montant contre sa mère. Très tôt, ils se sont « accaparé Maxime » et l’ont élevé dans l’idée que celle-ci était incompétente et qu’elle préférait sa nièce orpheline à ses propres enfants.
A la barre, Emma, très nerveuse, raconte tant bien que mal sa relation compliquée avec son ex-mari et les parents de celui-ci, qui venaient lui prendre son fils d’autorité et le gardaient parfois pendant des jours, lui laissant faire ce qu’il voulait et lui donnant un dangereux sentiment de toute-puissance. Maxime ne voulait pas aller à l’école ? Il n’y allait pas. Il ne voulait pas manger aux heures de repas comme le reste de la famille ? On lui faisait à manger à la demande. Selon les propres dires de Maxime, « quand on est enfant c’est le rêve, mais en réalité ce n’était pas normal ». Thierry, le père de Maxime, abonde dans le sens de ses parents, destituant ainsi son épouse de son rôle de mère. Dès leur plus tendre enfance, les enfants G-G (Maxime, Chloé et Léa, la petite dernière) ont donc baigné dans la violence et les conflits entre leurs propres parents, mais aussi entre leurs grands-parents paternels et maternels. Une guerre des clans qui mènera à un second drame dans la vie de Maxime, celui qui est à l’origine de tout.
La racine du mal
En 2010, dans un contexte de tensions dans le couple Thierry/Emma, Thierry abat son beau-père (le père d’Emma) de deux coups de fusil de chasse au cours d’une dispute familiale qui dégénère. Les enfants étaient présents sur les lieux du drame. Ils ont entendu les cris et les pleurs, ils ont vu le sang, les gendarmes arriver et arrêter leur père, et celui-ci partir en prison. Une scène dont Maxime, 8 ans à l’époque, garde un souvenir très précis. Lors d’une de ses premières déclarations à la barre, alors qu’on a évoqué le crime de son père, il déclare : « je sais que j’ai un problème, et je sais que pour le résoudre il faut que je remonte à la racine… à la racine du mal ».

Suite à ce drame, ses sœurs resteront avec leur mère, tandis qu’il sera confié à la garde de ses grands-parents paternels – une décision que personne ne semble comprendre, et que la représentante des services sociaux peine à expliquer à la barre, au deuxième jour du procès. Il semblerait que les grands-parents aient demandé et obtenu la garde de Maxime et que sa mère, fragilisée psychologiquement par le drame qui venait de frapper sa famille, n’ait pas eu la force de faire appel de la décision du juge. Pour le jeune Maxime, ce sont donc trois séparations qui ont lieu dans un laps de temps restreint : celle de ses parents, puis celle avec son père lorsque celui-ci part en prison, et enfin celle avec sa mère et ses sœurs lorsqu’il est placé chez ses grands-parents tandis que celles-ci restent ensemble. Mme Fournier souligne le caractère traumatisant de ces séparations en série pour un si jeune enfant. Selon elle, Maxime a développé à ce moment-là une peur de l’abandon qui ne l’a jamais quitté.
Cette peur peut être définie comme une angoisse de perte de l’objet d’amour. « La personne craint le rejet et a peur d’être quittée. Quand elle reste seule, elle ressent une forte angoisse, avec le sentiment de trahison, d’impuissance, d’insécurité. Ces émotions sont parfois incontrôlables. […] Des séparations traumatisantes à l’enfance se trouvent fréquemment à l’origine de cette angoisse. […] Dans l’anamnèse des adultes qui souffrent de l’angoisse d’abandon se trouvent souvent des séparations d’avec la mère dans la prime enfance. À l’adolescence, l’angoisse d’abandon témoigne de la dépendance affective persistante chez le jeune et elle se manifeste plutôt sous forme de colère et d’opposition. Cette angoisse peut perdurer chez l’adulte. Elle s’exprimera par la peur de la solitude, par le malaise ressenti lorsque la personne est seule mais aussi par l’appréhension anxieuse de se retrouver seul ou d’être quitté ou abandonné. »[1]
On peut donc retenir de cette analyse la place prépondérante du sentiment d’angoisse chez les abandonniques, qui peut se traduire par des manifestations incontrôlables de colère ou d’agressivité. Bien que cela n’excuse en rien les actes de Maxime cette nuit du 23 au 24 janvier 2021, cela permet de mieux comprendre qui il est et d’expliquer en partie son état d’esprit au moment du drame. Mais avant cela, d’autres évènements laissaient déjà présager le pire.
[1] Maria Hejnar, psychologue clinicienne et psychothérapeute aux Hôpitaux de Paris (AP-HP) et chargée d’enseignement de psychologie à l’Université Paris 13. (source : https://psychologueparis-7.fr/angoisse-dabandon/)
Drapeaux rouges
De ses 8 à ses 12 ans, Maxime, recueilli par ses grands-parents, vit chez eux comme un enfant-roi, « l’héritier ». Plutôt bon à l’école jusque-là (on avait même envisagé de lui faire sauter le CM1), il décroche complètement suite à l’incarcération de son père. Pour tout le monde au village, il est un « fils d’assassin », une identité bien trop lourde à porter pour un enfant à qui on n’a pas expliqué le drame dont il a été témoin, et qui n’a pas reçu l’aide psychologique dont il avait tant besoin. Là encore, les services sociaux se défaussent, mettant la faute sur la mère, qui elle non plus n’assume pas d’avoir refusé que son fils soit suivi psychologiquement : « Je n’étais pas contre [cette aide], mais j’avais l’impression qu’on ne m’écoutait pas et que j’étais stigmatisée », déclare-t-elle à la barre. Elle semble avoir développé une certaine paranoïa et un sentiment de persécution vis-à-vis des services de l’Etat, qu’il s’agisse des systèmes éducatifs, médicaux ou sociaux, ou des forces de l’ordre, qu’elle juge inaptes à comprendre sa situation et à résoudre ses problèmes car ils auraient des préjugés insurmontables contre elle et sa famille.
Chez ses grands-parents, Maxime a accès aux armes à feu, malgré son jeune âge et le traumatisme qu’il a vécu avec le meurtre de son grand-père maternel par son père. Une aberration qui mènera inévitablement à un nouvel accident : lorsque Maxime a 12 ans, il se tire dans le pied avec une arme de chasse, se blessant grièvement et évitant de peu l’amputation. Suite à ça, il sera retiré de la garde de ses grands-parents et placé en foyer pendant quelques mois – ajoutant ainsi une nouvelle séparation à sa collection déjà fournie. Sa famille s’oppose à nouveau à la décision de la justice et refuse que Maxime soit placé, ce qui génère chez lui une profonde angoisse : il menace de s’enfuir ou de se suicider si on le place de force. Le placement aura pourtant bel et bien lieu, et il représentera une rare opportunité pour Maxime de se sociabiliser avec d’autres jeunes de son âge, loin de son environnement familial toxique. Une expérience qui, de son propre aveu, lui a été bénéfique.
Mais la trêve sera de courte durée. Le père de Maxime sort de prison en 2014 et récupère la garde totale de son fils. On peut une fois de plus questionner la pertinence de confier un adolescent tourmenté par une enfance douloureuse à la garde d’une des personnes responsables de son mal-être, et ce sans suivi sérieux des autorités compétentes. Car si la prison a – peut-être – aidé Thierry à réfléchir à son crime, l’homme n’a pas mis ce temps à profit pour réfléchir à son rôle de père et à sa responsabilité dans l’éclatement de son couple et de sa famille. Il continue d’élever Maxime dans l’opposition à la mère, soutenu par ses parents jusqu’à leur mort, en 2016 et 2019.
Pendant ces années, Maxime s’est donc vu privé de figure maternelle et de tout ce que cela comporte d’essentiel pour la construction psychique d’un enfant. Selon la psychiatre Christine Anzieu-Premmereur, « la mère oppose son refus à l’enfant, l’ouvre sur le monde, nomme toutes choses, étaye le langage. La qualité du lien initial à l’objet maternel donne à la scène primitive une valeur structurante. »[1] Dans le cas de Maxime, sa mère n’a pas eu le droit de lui fixer des limites, générant ainsi un sentiment d’angoisse et d’insécurité qui n’a fait que croitre au fil des années. Idem pour le fait de nommer les choses : il ressort du procès que les évènements dramatiques de la vie de Maxime (le suicide de sa tante, le meurtre de son grand-père), étaient « établis de manière factuelle », mais on n’en parlait pas. Ces carences affectives dans l’enfance ont eu des conséquences sur sa vie sentimentale. Selon l’experte psychologue Mme Fournier, Maxime avait besoin de se sentir fusionnel dans ses relations amoureuses, ce qui a pu le mener à surinterpréter, voire à déformer la réalité dans sa relation avec Maïté. Un point qui sera au cœur de l’analyse des faits dramatiques qui se sont déroulés dans la nuit du 23 au 24 janvier 2021.
Maxime passe son adolescence à s’occuper des champs et de ses grands-parents malades. Il n’a pas d’amis ni de petites-amies, ni de loisirs comme la plupart des jeunes de son âge. Il passe son temps entre son travail agricole et sa famille déchirée, dans le huis-clos de son village où les clans se jaugent et les rumeurs sifflent comme des serpents. Après le décès de ses grands-parents, il retourne vivre chez sa mère. Il n’explique pas pourquoi mais c’est un choix intéressant étant donné qu’il a passé la majeure partie de sa vie du côté paternel de sa famille. Mais à cause de l’image qu’on lui a donné de sa mère depuis son enfance, il ne semble pas pouvoir développer une relation saine avec elle, basée sur le respect et l’amour, et leurs rapports se détériorent rapidement. En 2018, Maxime a 16 ans. Un jour, en voulant laver son linge, sa mère trouve des cartouches de fusil de chasse dans une poche de son pantalon. Effrayée, elle lui demande des comptes et menace d’appeler les gendarmes. La tension monte très rapidement entre la mère et le fils, celle-ci part chercher de l’aide chez son frère, et Maxime sort derrière la maison et tire deux coups de fusil en l’air. Les gendarmes interviennent, Maxime sera jugé pour violence avec arme sur ascendant et condamné à un nouveau placement et à une interdiction de porter des armes pendant 5 ans.
[1] Christine Anzieu-Premmereur est psychiatre et psychanalyste pour enfants et adultes, membre de la Société Psychanalytique de Paris et du Centre de Psychanalyse de l’université de Columbia. Elle est présidente du Comité pour la psychanalyse d’enfants et d’adolescents à l’API. (source : https://doi.org/10.3917/rfp.755.1449)

Ce dernier évènement est particulièrement intéressant car il met en lumière l’impuissance d’Emma en tant que mère et l’incapacité de Maxime à communiquer ses émotions calmement. Certes, il n’est pas commun ni rassurant de trouver des munitions dans les poches de son fils adolescent, et on peut comprendre qu’Emma ait été particulièrement choquée par cette trouvaille, qui a ravivé le souvenir du meurtre de son père (depuis ce jour-là, elle refuse d’avoir des armes chez elle ou que ses enfants y aient accès). Mais malgré le choc, le dialogue aurait été une meilleure solution que la menace. Après tout, elle restait l’adulte et lui l’enfant, et lui aussi a été une victime collatérale du meurtre de son grand-père.
Là où certains pourraient voir une forme d’appel à l’aide de la part de Maxime, Emma a vu une provocation et a tout de suite antagonisé son fils. Celui-ci, désemparé et ayant du mal à gérer ses émotions, panique à l’idée que sa mère appelle les gendarmes et qu’il finisse en prison comme son père (c’est ce qu’il dira à la barre). Il prend alors le fusil et tire deux coups en l’air pour faire peur à sa mère, non pas pour la menacer sinon pour lui faire croire qu’il va se faire du mal à lui-même. Un geste fou et irréfléchi qui illustre bien les mécanismes de Maxime lorsque ses émotions bouillonnent et qu’il se sent menacé. De fait, cette montée irrépressible de l’angoisse menant à la violence sera évoquée par Mme Fournier pour expliquer l’état d’esprit dans lequel se trouvait Maxime le soir de son crime.
Chronologie des faits
Afin d’éclairer la tragédie qui s’est jouée dans ce hameau isolé en cette nuit froide de janvier 2021, il faut maintenant rembobiner jusqu’à l’élément déclencheur qui a fait se rencontrer deux familles que tout opposait et dont les chemins n’auraient jamais dû se croiser.
Le cowboy et le coup de foudre
Tout commence à l’été 2018. Maxime vit chez sa mère et l’aide à entretenir sa ferme. Un beau jour, alors qu’il bricole sur un tracteur, un curieux personnage débarque et le complimente sur son travail. Cet homme, c’est André, une « légende » du village au style particulier. Il a les cheveux longs sous son grand chapeau, il porte des jeans et des chemises à carreaux, ce qui lui vaut le surnom de cowboy – un surnom qui vient aussi du fait qu’il est très territorial et n’apprécie pas qu’on s’approche trop près de sa propriété, n’hésitant pas à effrayer les plus aventureux à l’aide de son tracteur ou même de son fusil.
Maxime ne connait André que de nom, et il est assez impressionné qu’il vienne le démarcher directement chez lui. Mais André n’est pas désintéressé : il a besoin d’un ouvrier compétent pour moissonner un de ses champs auquel il n’a plus le droit d’accéder car il se trouve trop près de chez un autre agriculteur qui a obtenu une injonction d’éloignement contre lui. La cause ? André aurait tué plusieurs de ses brebis en les écrasant avec son tracteur car elles se seraient malencontreusement échappées de leur enclos pour se retrouver sur une parcelle d’André. Un incident qui caractérise le personnage, sanguin et prêt à tout lorsqu’il s’agit d’en découdre avec quelqu’un qui agit contre sa volonté… C’est donc cette fameuse parcelle qu’André propose à Maxime de moissonner, et celui-ci accepte. Car Maxime n’est pas non plus désintéressé ; et pour cause, avec le père ce jour-là, il y a la fille…

Maïté, belle jeune femme aux longs cheveux châtains ondulés, la taille fine et le regard franc et intelligent. C’est le coup de foudre – Maxime dira que c’est la première fois qu’il ressent quelque chose d’aussi fort pour une fille. Soudain, la grisaille constante de son ciel se dissipe, et le soleil Maïté brille dans sa vie. « C’est la plus belle chose qui me soit arrivé », relatera-t-il pudiquement à la barre. Il faut dire que dans la vie de Maxime, les belles choses sont rares. Les deux jeunes gens se mettent rapidement en couple, mais leur idylle ne plait pas à la mère de Maxime, qui n’apprécie pas André. « C’est un fou furieux » lui dit-elle, appuyée par d’autres dans le village. Il faut dire qu’André ne soigne pas vraiment sa réputation, entre coups de sang spectaculaires et mode de vie particulier : il vit reclus dans sa ferme à l’écart du village avec sa femme et sa fille, et la famille a très peu de contacts avec l’extérieur. Pas de téléphones portables, des époux qui font chambre à part, des chats qui vivent avec eux dans un désordre total, un rythme de travail qui diffère de ce qui se fait habituellement dans le milieu… Bref, il n’en faut pas plus pour qu’André soit perçu à tout le moins comme un original. Mais Maxime n’en a cure, il est amoureux et très investi dans sa relation avec Maïté, il n’écoute donc pas les avertissements de sa mère.
Lorsqu’il rencontre André, Maxime prépare un CAP Agricole et fait son apprentissage chez Mr D, près de chez sa mère. L’apprentissage se passe bien, Mr D est très content du jeune homme qu’il décrit comme calme, travailleur et compétent. Il ne rechigne pas à la tâche, il ne se plaint jamais, il n’a pas de sautes d’humeur ou d’accès de colère, il est poli et réceptif aux remarques sur son travail en vue de s’améliorer. Il veut bien faire, et il se donne à fond pour réaliser son rêve de devenir exploitant agricole. Maxime à son tour n’a que des choses positives à dire sur son patron : il le traite avec respect, il est pédagogue, et il est en règle avec lui administrativement et financièrement. Maxime est heureux chez lui, et son travail lui procure une stabilité qu’il peinait à trouver jusque-là.
Lorsqu’il se met en couple avec Maïté, il se rend presque tous les jours à la ferme d’André après sa journée de travail, où il aide avec les taches agricoles. Des journées bien remplies donc, et un rythme de travail intense qui finit par l’épuiser. Sa mère s’inquiète et demande à André d’arrêter de faire travailler Maxime le soir, mais Maxime choisit son camp. Sous l’influence de sa compagne, il décide de rompre son contrat avec Mr D. C’est d’ailleurs la jeune femme qui annoncera la nouvelle à l’agriculteur, Maxime n’ayant pas trouvé le courage (ou la volonté ?) de quitter son patron. Mr D racontera à la barre qu’un soir de septembre 2020 (4 mois avant le drame), Maïté et Maxime sont venus le voir chez lui ; Maxime avait l’air soucieux et ne parlait pas beaucoup, et sans préambule Maïté lui a annoncé que Maxime souhaitait rompre son contrat d’apprentissage pour aller travailler chez eux. « Je lui ai demandé [à Maxime] si c’était ce qu’il voulait et il m’a dit oui », relate l’agriculteur. Les trois boivent ensuite un verre ensemble et discutent des formalités de rupture du contrat, puis le couple s’en va. Ce sera l’avant-dernière fois que Mr D verra le jeune homme.
Le poids de la famille
Maxime raconte que jusque-là, ses relations avec André étaient plutôt bonnes. Il avait son caractère, et Maxime était parfois sceptique quant aux méthodes de l’agriculteur, mais dans l’ensemble ils s’entendaient bien. Les choses ont commencé à tourner au vinaigre dès qu’André est devenu son maitre d’apprentissage. Maxime raconte qu’André était irascible, ne donnait pas de consignes claires, critiquait sans arrêt son travail, et le traitait régulièrement de bon à rien. Selon l’experte psychologue Mme Fournier, « il a subi cette violence de manière contenue, même s’il se sentait humilié ». « Tout ce qui comptait pour moi, c’était Maïté », raconte Maxime. « Je voulais être avec elle, alors je ne disais rien » quand André le malmenait. Il essayait même de s’améliorer, de trouver grâce aux yeux de ce patron qui était aussi son beau-père. Mais il n’y est pas parvenu.
André n’est plus là pour donner sa version des faits, mais il semble que Maxime ne correspondait pas à son idéal de gendre – et de potentiel repreneur de son exploitation. « Les gens comme ta famille, ça fait pas des hommes », lui aurait-il dit lors d’une énième remontrance sur son travail. Une remarque cruelle pour le jeune homme qui a toujours souffert des conséquences du crime de son père. Petit à petit, inexorablement, il voit s’éloigner son rêve d’une vie heureuse, exerçant le métier qu’il a choisi avec la femme qu’il aime. Car face au mécontentement grandissant de son père, Maïté s’éloigne de plus en plus de Maxime.
A la barre, la jeune femme a du mal à parler de ses sentiments pour lui – on peut comprendre qu’elle n’ait plus envie de parler d’amour quand il s’agit de l’homme qui a tué son père – mais on devine que dans les mois qui ont précédé le drame, elle était déchirée entre les deux hommes. D’un côté, son père, son héros, celui qui lui a tout appris et qui a fait d’elle la jeune femme forte qu’elle est aujourd’hui ; de l’autre, son compagnon, qu’elle aime et en qui elle croit. Car c’est elle qui l’a aidé à réintégrer son lycée pour continuer son CAP, qu’il avait abandonné après l’incident des tirs en l’air avec sa mère. Elle aussi qui l’avait encouragé à venir faire son apprentissage chez son père, pour qu’ils puissent passer plus de temps ensemble. Alors, quand elle voit que Maxime ne parvient pas à trouver sa place dans l’exploitation et que son père est mécontent de lui, elle se sent sans doute coupable de leur avoir donné de faux espoirs à tous les deux. Et comme elle les aime tous les deux, elle ne veut pas se retrouver au milieu de leurs disputes. Alors elle préfère, peut-être un peu lâchement, prendre ses distances avec Maxime, parce que c’est plus facile qu’avec son père, parce que la famille passe avant tout. C’est comme ça dans ce milieu, on fait tout ensemble, on est uni dans le travail, et les frivolités des amours adolescentes ne font pas le poids face au devoir qu’impose la tradition familiale.

Après les moissons, le temps des ruptures
Les tensions entre André et Maxime vont mener à une nouvelle série de ruptures – et rappelez-vous, lecteur, ce que les ruptures en série provoquent chez Maxime. Il y a d’abord la rupture sentimentale avec Maïté, qui intervient pendant l’hiver 2020. Une rupture qui n’est pas claire et qui a plus l’air d’une pause, Maïté semblant indécise quant à l’avenir de leur relation. Une confusion qui rappelle sans doute inconsciemment à Maxime la rupture de ses parents. Il racontera à la psychologue Mme Fournier qu’après leur rupture en 2009, Thierry et Emma ont en quelque sorte ‘fait semblant’ de se remettre ensemble pour ne pas traumatiser leurs enfants. Cette ‘comédie’ durera jusqu’au crime et à l’arrestation de Thierry. Après ça, la séparation sera effective parce que le père sera physiquement enfermé en prison. Mme Fournier dira que Maxime n’a pas vraiment intégré le fait que ses parents soient séparés, et pendant longtemps il a pensé qu’ils étaient toujours ensemble (alors qu’ils ne l’étaient plus) – un non-dit de plus qui a engendré la confusion dans son esprit et généré de l’angoisse.
Il semble qu’encore aujourd’hui, les parents aient une relation pas claire ; ils ont tous les deux assisté au procès de leur fils, tantôt l’un à côté de l’autre, unis comme un couple normal autour de leurs enfants, tantôt séparément, chacun d’un côté de la salle avec leurs clans respectifs, comme des ennemis. Emma semblait avoir peur de Thierry. Rappelons qu’au-delà d’être son ex-mari et le père de ses enfants, il est également le meurtrier de son père ! Comment alors se tenir à ses côtés sans ressentir de l’effroi ou de la colère ? Pour en revenir à la rupture entre Maxime et Maïté, il n’est donc pas étonnant que le jeune homme n’ait pas facilement compris et intégré la décision de sa compagne ; d’une part parce qu’elle n’était pas claire, et d’autre part parce qu’il n’avait pas les armes émotionnelles pour le faire, étant donné que son seul exemple en la matière soit celui de ses parents, qui est désastreux. Rappelons aussi qu’à l’époque, Maxime a 18 ans, c’est son premier chagrin d’amour, et chacun peut s’identifier à la peine qu’il a dû ressentir – qui n’a pas cru qu’il/elle ne se remettrait jamais de sa première rupture !
En parallèle, André décide de rompre son contrat d’apprentissage avec Maxime. Mais là encore, rien n’est clair. Car il faut savoir que depuis le début, Maxime travaille chez lui sans contrat, et sans être payé. Les papiers avaient soi-disant été préparés, mais jamais envoyés. Maxime n’était donc pas en règle ni avec son lycée, ni avec les organismes sociaux, et il n’était pas assuré en cas d’accident au travail. Un manquement grave de la part de son employeur, dont il avait conscience mais qu’il a une fois de plus laissé couler par amour pour Maïté. Sa mère a tenté de le convaincre plusieurs fois de régulariser la situation, en vain. Au moment de se défaire de Maxime donc, pas de formalités autour d’un verre comme ce fut le cas avec Mr D, mais un renvoi oral et sans ménagement : « Retourne t’amuser chez toi ! » lui balance André. Lorsqu’il relate cette phrase à la barre, Maxime ajoute candidement « alors que je ne me suis jamais amusé chez moi… »
On lui demande brusquement de ne plus revenir à la ferme, et lui perd tous ses repères. Il est épuisé, il ne sait plus comment se positionner face à la famille de Maïté, et ça commence à « bouillonner dans [son] cerveau ». Autrement dit la peur de l’abandon se réveille, l’angoisse monte, et il perd le contrôle de ses émotions. Il ne dort plus, ne mange plus, et présente tous les symptômes d’un état dépressif. Il essaie désespérément, maladroitement, de reprendre sa relation avec Maïté. Il lui envoie des messages – parfois des dizaines par jour – et devant son silence assourdissant, il commence à développer un scenario dans lequel André serait à l’origine de la décision de sa fille de le quitter. Plus les jours passent, et plus le personnage d’André noircit dans l’esprit de Maxime. Il le pense violent avec sa femme et sa fille, les terrorisant au point qu’elles n’osent pas appeler au secours. Il l’imagine sombrer dans l’alcool, alors que l’enquête tendra à montrer qu’André ne s’alcoolisait pas de manière anormale. Bref, il le voit devenir fou, alors que c’est à lui que c’est en train d’arriver.
Dernier acte
Deux jours avant le drame, Maxime va voir Mr D, son ancien patron, et lui demande de le reprendre, mais celui-ci, craignant des représailles de « l’autre fou » (André), refuse. « Il va encore me faire des saloperies » ajoute-t-il. Une illustration de plus de la crainte qu’inspirait André dans son village, et une occasion manquée pour Maxime, qui n’aurait peut-être pas été jusqu’au bout de sa folie s’il avait pu réintégrer la ferme de Mr D, qui était un environnement stabilisant pour lui. L’agriculteur lui prodiguera toutefois de bons conseils, à savoir passer son permis de conduire et trouver du travail en dehors du village, pour oublier Maïté et commencer une nouvelle vie. Lorsque Maxime lui répond qu’il ne peut pas la laisser car elle est en danger, l’agriculteur lui dit que si c’est vraiment le cas, ce n’est pas à lui de s’en occuper mais aux autorités compétentes. « J’ai bien dit ? » demandera-t-il à la Présidente. (Lors d’une pause d’audience, moi je lui ai dit que oui.)
Maxime cherche alors de l’aide auprès de sa sœur Chloé, qui semble avoir un regard juste et une bonne influence sur lui. Il tente de retourner chez André avec elle, mais devant la réaction négative de la famille, elle le dissuade d’insister et le ramène chez eux. Elle lui conseille de se calmer et de se reposer, et de ne plus y retourner. Mais Maxime a déjà atteint le point de non-retour.
La veille du drame, il se rend chez un ami en compagnie de son meilleur ami et de son père. Les détails ne sont pas connus car personne n’a témoigné à la barre sur cet épisode, mais il ressort de l’enquête que l’ami chez qui il s’est rendu a remis une arme à Maxime. Son père, présent, est nerveux et lui demande ce qu’il veut en faire.
« Je ne suis pas comme toi, moi ! Jamais je ne tuerai quelqu’un ! » lui lance son fils.
A ce moment-là tout se joue. Le fils fait face au père et à son crime, à la racine du mal. Un mal qui l’empoisonne et le tourmente depuis l’enfance, et dont personne ne l’a aidé à guérir. Mais même à ce moment-là, alors que Thierry sait très bien que son fils va mal (Maïté l’avait appelé quelques jours auparavant pour lui demander de convaincre Maxime de ne plus revenir chez elle car elle avait peur qu’il « fasse une connerie »), même à ce moment-là donc, Thierry ne fait pas ce qu’il aurait dû faire depuis des années, à savoir éloigner son fils des armes et lui expliquer que la violence ne menait à rien de bon. Il aurait dû le calmer, le rassurer, lui dire qu’il était là pour lui et que ça irait. Il aurait pu le prendre dans ses bras et le soulager de ce fardeau si lourd qu’il portait depuis si longtemps.
Las.
Quelques heures plus tard, Maxime G-G quittera la ferme de sa mère et parcourra les trois kilomètres qui la sépare de celle d’André à pied, dans la neige, à travers la forêt.
Était-il armé à ce moment-là ? Il n’y a aucune certitude. Ce qui est sûr, c’est qu’il était en état de panique. « Il avait un sentiment de peur envahissant d’André », explique la psychologue à la barre.
Maxime s’approche de la ferme à la faveur de la nuit. Il dit qu’il va chercher une arme dans la grange – une de ses armes qu’il avait entreposée là quelques temps auparavant car sa mère n’en voulait pas chez elle.
Il se dirige vers le garage éclairé, il entre, pose l’arme contre le mur à côté de la porte, s’avance et surprend André qui est en train de se préparer pour la traite du soir.
A la vue du jeune homme, le patriarche est furieux : « Qu’est-ce que tu fous ici sale gamin de merde ? Ça y est c’est le jour J, tu vas mourir ! » hurle-t-il en fonçant vers lui.
Au passage – toujours selon le récit de Maxime, qui est le seul témoin vivant de la scène – André saisit une hache.
Maxime recule, paniqué, jusqu’à la porte.
André lève la hache.
Maxime saisit son arme (chargée) et tire.
André, touché au thorax, s’écroule et appelle son épouse à l’aide.
Maxime tire une seconde fois sur André, en pleine tête.

André git inerte sur le sol de son garage, et Maxime, toujours en ébullition, se saisit d’un manche en bois et frappe son beau-père, son patron, le cowboy, cette figure patriarcale menaçante qui lui a tout donné, puis tout repris.
Alertée par les cris, Mireille descend au garage et se retrouve face à un jeune homme qu’elle ne reconnait plus. Dans sa transe, il la frappe violemment à la tête au point qu’elle perde brièvement connaissance. Lorsqu’elle reprend ses esprits, elle remonte affolée dans l’appartement.
Pendant ce temps, Maïté, alertée par les coups de feu, arrive au garage depuis le hangar où sont les vaches et tombe nez à nez avec le corps ensanglanté de son père, et Maxime qui crie « Ça te fait du bien hein ? ». Voyant Maxime qui le frappe, elle s’interpose et reçoit plusieurs des coups destinés à son père. « A un moment j’ai cru que j’allais mourir, mais avant je voulais voir ma mère une dernière fois » raconte la jeune femme, émue, à la barre. Elle « abandonne » alors son père et suit les traces de sang de sa mère jusqu’à l’appartement. Arrivée en haut, elle trouve Mireille hébétée et sanglante avec le téléphone fixe à la main. Maxime, qui l’a suivie, s’empare de l’appareil et le jette violemment au sol. Les deux femmes terrorisées pensent que leur dernière heure a sonné, mais Maxime repart vers le garage, obnubilé par André. Maïté en profite alors pour saisir un deuxième combiné et le cacher dans sa manche, avant de monter à l’étage pour appeler les secours.
Il y aura quatre appels en tout, et ce qui se passe pendant les deux heures qui précèdent l’intervention des gendarmes est lunaire : Maïté tente de calmer Maxime en le prenant dans ses bras et en lui disant qu’elle l’aime, que ça va aller (précisément ce qu’aurait dû faire son père la veille…). Sorti de sa transe, Maxime déambule dans la maison, comme sonné. Il nettoie le sang de Mireille par terre car il sait que Maïté n’aime pas ça. Elle lui demande « Qu’est-ce que tu as fait ? », il lui répond « J’ai fait ça pour toi ». Il lui dit qu’il l’aime, il pense qu’ils vont pouvoir reprendre leur vie tranquillement, sans qu’André puisse leur mettre des bâtons dans les roues. Il croit sincèrement qu’il vient de « sauver les femmes » du tyran André. Puis il dit qu’il voudrait un verre d’eau et elle lui dit d’aller le chercher dans la cuisine. Tandis qu’il s’exécute, Maïté regarde sa mère qui lui adresse un signe de tête silencieux : « Vas-y, sauve-toi ». Maïté sort de la maison et court en direction des gendarmes qui sont postés au bout du chemin. Maxime la suit, et il est interpellé sans violence.

Il semble toujours hébété – il est en réalité en état de sidération, un état normal dans ce genre de cas. Ça ne bouillonne plus, c’est le retour au calme dans sa tête et dans la nuit hivernale. Mireille rejoint sa fille et lui annonce que son père est mort. Le cow-boy n’est plus.
Maxime a tué le père ; mais en s’en prenant à André, il a puni son propre père en répétant son crime, au geste près, 10 ans après lui. « Sa vérité » (dixit Mme Fournier), c’est qu’il a tué un père violent avec sa femme et sa fille, et qu’il a sauvé ces femmes. Ce qu’il n’a pas pu faire 10 ans auparavant, laissant sa mère, sa cousine et sa sœur à la merci de la violence de son père, qui finira par commettre l’irréparable et achèvera de détruire sa famille.
Maxime lui a demandé à propos du meurtre de son grand-père « Pourquoi tu as fait ça ? Pourquoi tu n’as pas pensé à nous ? » mais Thierry ne lui a jamais expliqué, pas plus qu’il ne s’est excusé de les avoir « abandonnés », et Maxime avouera que ça lui aurait fait du bien… Thierry a bien versé des larmes de crocodile en témoignant à la barre, disant que s’il n’avait pas fait ce qu’il avait fait, Maxime ne serait pas là aujourd’hui. C’est certain, mais en est-il vraiment convaincu ?
Après le drame
La détention provisoire
La détention de Maxime se passe plutôt bien. Le jeune homme est calme et a de bons rapports avec ses codétenus et les surveillants. Il travaille dans un atelier où il fait du bois (ce qui se rapproche le plus de ce qu’il aimait faire quand il était dehors), il est consciencieux, et il a même été promu contremaitre.
Durant sa première année d’incarcération, Maxime a fait trois tentatives de suicide et a dû être placé en unité psychiatrique pendant un temps. « Je ne voulais pas que [son crime] existe, je préférais abandonner l’idée de devoir faire face à ça » dira-t-il. On lui prescrira un traitement médicamenteux lourd, qu’on donne généralement aux gens qui viennent de subir un énorme choc. Et dans un sens, c’est ce qui s’est passé. La psychologue parle de « traumatisme de répétition » (en rapport au traumatisme vécu dans son enfance, à la mort de son grand-père) ; en clair, Maxime a revécu ce traumatisme, avec toutes les émotions violentes et difficiles à gérer qu’il implique, lorsqu’il a tué André.
Au début de sa détention, il est obsédé par l’idée de sortir pour aller retrouver Maïté. Il n’a pas encore pris conscience de ce qu’il a fait et du fait qu’il va sans doute rester longtemps en prison pour ça. Il ne réalise pas non plus que Maïté est traumatisée et qu’elle n’a aucune envie de le revoir. Mais après tout pourquoi pas – sa mère a bien continué à faire comme si elle était encore en couple avec son père (pour le bien des enfants…) alors qu’il avait tué son propre père ! Il faudra du temps et un travail psychologique régulier et sérieux à Maxime pour comprendre tout ça et accepter la réalité, mais selon les médecins qui l’ont examiné en détention, il est accessible aux soins et il a toutes les chances de se remettre sur les rails psychologiquement. Il restera néanmoins toujours un sujet à risque pour le traumatisme de répétition, il aura donc besoin d’un suivi psychologique sur le long terme pour qu’on l’aide à déceler et à gérer les évènements susceptibles de le faire basculer.
La psychologue et le psychiatre qui l’ont examiné en détention s’accordent à dire que Maxime a un profil frustre, c’est à dire qu’il est plutôt impulsif et ne réfléchit pas forcement avant d’agir. Il a un tempérament fort qui peut faciliter le passage à l’acte, mais il n’a pas de profil psychopathique ou pervers. Il est capable d’être calme et réfléchi, mais il a tendance à se mettre en colère et à devenir violent quand il pense qu’il va y avoir un drame. Cela concorde avec le comportement-type d’un abandonnique, renforcé ici par l’attitude peu rassurante de la mère de Maxime qui critiquait André et répétait sans cesse qu’il y allait « avoir un drame » à cause de lui. Cette attitude a contribué à mettre Maxime en alerte et à percevoir son beau-père comme une source de danger. Maxime est « polytraumatisé », le choc du meurtre de son grand-père a fait exploser son mental en un amas de débris à reconstruire – sans aide, refusée par sa famille. « Il a fait ce qu’il a pu » ajoute Mme Fournier, mais « il est brisé ». Selon elle, il exprime des regrets sincères par rapport à son geste. Il n’est pas menteur ; « Il n’y a pas de malice en lui » conclue-t-elle.
C’est en effet l’impression que donnera Maxime à son procès.
Le procès
Maxime a été jugé pendant cinq jour en octobre 2024, près de quatre ans après son crime. Il a maintenant 22 ans, il est bien bâti, il porte une barbe et des cheveux bruns. Il a le visage assez doux sous un physique plutôt rustre. Ce qui m’a frappée, c’est qu’il a toujours le regard qui semble chercher quelque chose, comme une bouée de sauvetage. Il est un spectateur poli de son procès, il n’intervient pas sauf si on l’interroge. Il écoute sagement, ne prend pas de notes et échange assez peu avec ses avocats en public. Il n’est pas désintéressé, mais il semble ne pas vouloir intervenir pour sa défense car il pense qu’il ne le mérite pas. Il reconnait les faits et en assume la responsabilité ; il ne dira jamais qu’il a fait ça à cause du crime de son père, mais il mentionne plusieurs fois les failles dans son éducation. Lorsqu’il entre dans le box tous les matins, il salue d’un signe de tête poli la Cour et le public. C’est assez touchant, car ça semble sincère (je ne pense pas qu’il ait fait ça pour se faire bien voir ou parce qu’on le lui avait demandé).

Il n’aura, en revanche, aucun regard pour ses parents, qui eux ne l’ont pas quitté des yeux de la semaine. Aucune réaction non plus lorsqu’ils témoigneront à la barre. Il restera le visage fermé, regardant ailleurs. C’était assez pathétique de voir ces parents – dont ce n’était pas le procès, mais que tout le monde a malgré tout jugés sévèrement – tenter vainement de justifier leurs erreurs, et présenter des excuses tardives et peu convaincantes aux parties civiles pour le crime de leur fils. Mais à lui justement, ils n’en ont présenté aucunes pour avoir gâché son enfance et ne l’avoir jamais soutenu ou aidé lorsqu’il en avait besoin. Ils ont simplement montré qu’ils semblaient n’avoir toujours pas compris, et c’est bien dommage pour Maxime qui une fois de plus va avoir besoin d’aide pour se soigner et recommencer sa vie sur de nouvelles bases, mais ne la trouvera probablement pas auprès d’eux. Lors d’une pause d’audience, j’ai entendu une proche de la famille dire aux parents qu’ils ne devraient plus aller le voir ensemble au parloir car ça ne lui faisait pas du bien. « Vous ne faites que vous disputer devant lui ! Pourquoi vous vous obstinez à y aller ensemble ? » Pour son bien sans doute, pour donner l’illusion de l’unité afin de ne pas le traumatiser…
Lors de ses deux témoignages devant la Cour, Maxime évoque rapidement sa vie et les drames qu’il a vécu, sans s’attarder sur les détails ou sur ses émotions. En revanche, il parle longuement et avec animation d’André, comme s’il revivait les émotions fortes que l’agriculteur lui avaient inspirées. Il s’excuse plusieurs fois de devoir « dire du mal de lui », mais « c’est la seule façon de raconter les faits » tels qu’il les a vécus. Il confirme que l’agriculteur possédait une arme, ce que tous ses partisans avaient nié malgré les évidences : plusieurs témoins l’ont vu tirer en direction de promeneurs qui avaient pénétré (par mégarde) sur sa propriété, ou autour de la maison de son voisin qui avait tiré sur ses chats avec une carabine ; le Directeur d’Enquête relate également (photos à l’appui) avoir trouvé des dizaines de cartouches (percutées ou non) dans toute la maison, ce que Mireille et Maïté expliqueront par le fait qu’ils ramassaient les cartouches qu’ils trouvaient dans les champs et les déposaient au hasard dans la maison au lieu de s’en débarrasser…
Maxime relate également son coup de foudre pour Maïté et leur histoire en laquelle il a cru jusqu’au bout. Il admet avoir été maladroit en insistant pour la voir et lui parler dans les jours qui ont précédé le drame, mais il ne sait pas expliquer que c’était parce qu’il avait besoin de réponses sur la fin de leur relation – ce qui est en fait normal, ou en tout cas compréhensible, de la part de quelqu’un qui vient de se faire quitter sans explication claire. Mais à l’ère de MeToo et de la prise de conscience de la société sur les violences envers les femmes, ce comportement passe mal auprès de la Cour. L’un de ses avocats, Me Gallo, tentera de plaider la folie amoureuse, arguant qu’il aimait tellement sa compagne qu’il a tué celui dont il pensait qu’il lui faisait du mal. Il l’a délivrée, tel un preux chevalier, d’un mal qui malheureusement n’existait pas.
Son confrère, Me Rimondi, tente une approche plus sage et moins romanesque : dressant un parallèle habile avec le drame de l’usine AZF[1] (affaire dans laquelle il a lui-même plaidé), il argue que Maxime et André étaient tout simplement deux éléments qui étaient inoffensifs lorsqu’ils se tenaient à distance l’un de l’autre, mais explosifs et dévastateurs lorsqu’ils étaient ensemble. Ne donnant de gants ni à Maxime ni à André, il rappelle que malgré l’horreur incontestable du geste de Maxime, il s’est dirigé tout particulièrement vers un individu qui le traitait mal et lui faisait peur – ainsi qu’à beaucoup d’autres autour de lui.
[1] L’usine AZF était une usine d’agrochimie (AZote Fertilisants) située à Toulouse, dans la Haute-Garonne. Un de ses hangars, contenant des nitrates déclassés, a explosé le 21 septembre 2001, entraînant la mort de 31 personnes, faisant 2500 blessés et de lourds dégâts matériels.
Quid de la préméditation ?
C’est l’enjeu principal de ce procès. Maxime G-G est inculpé d’assassinat, ce qui veut dire qu’il aurait prémédité son crime, et risque par conséquent la réclusion criminelle à perpétuité. Mais la préméditation n’est pas évidente dans ce dossier.
Tout d’abord, parmi la multitude de messages qu’il envoie à Maïté dans les deux ou trois jours précédant le crime, il y en a un où il dit que « cette fois, [André] a vraiment dépassé les bornes » et qu’il va venir le tuer. On ne sait pas bien à quoi Maxime se réfère quand il dit qu’André a dépassé les bornes, mais on suppose qu’il est déjà dans l’état de délire où il s’imagine que l’agriculteur s’en prend physiquement à sa femme et à sa fille. Est-il sérieux quand il dit qu’il va venir le tuer ? Difficile à affirmer vu son état psychologique.
Ensuite, comme on l’a vu plus haut, Maxime est allé chez un ami la veille du drame et a récupéré une arme. Pourquoi ? Il ne l’explique pas vraiment, mais il semblerait que ce soit sous l’impulsion de son meilleur ami (présent lui aussi ce jour-là) qui est chasseur et qui voulait que Maxime ait une arme pour pouvoir l’emmener avec lui.
Son rapport aux armes est toutefois ambigu ; il a comme une fascination morbide, une attirance malsaine pour elles. « Je ne dois pas avoir accès aux armes […] Je ne sais pas gérer le fait d’avoir une arme dans les mains, je ne sais pas gérer les choses » dira-t-il spontanément lors de sa première déclaration devant la Cour. Une phrase qui fait froid dans le dos, mais qui illustre le mal être du jeune homme et sa quête vaine pour trouver de l’aide, des limites, un équilibre dans son enfance. Chaque fois qu’il a eu un accident avec une arme jusqu’au soir fatidique du crime, il s’est fait du mal à lui-même ou a menacé de le faire. Comme des appels au secours, des tentatives de provoquer un électrochoc chez ses proches qui n’est jamais venu.
Un dernier élément important est que Maxime dit que ce soir du 23 janvier, il était venu pour voir Maïté et discuter avec André ; mais alors, pourquoi était-il armé ? Le plus gros doute dans ce dossier est de savoir si Maxime est venu depuis chez lui avec l’arme du crime, ou si elle était déjà sur place. Selon la partie civile, Maxime est bel et bien venu armé pour en découdre avec André, ce qui confirmerait la préméditation. Mais on a retrouvé quatre armes appartenant à Maxime chez André. Selon lui, il les avait apportées quelques temps auparavant car sa mère n’en voulait pas chez elle, et André était au courant (ce que Maïté confirmera). La jeune femme dira cependant qu’il les avait ramenées chez lui quelques temps avant le drame (mais elle ne se souvient plus quand), ce que Maxime nie.
Si les armes étaient déjà sur place, cela soulève un doute sur la préméditation. De plus, pourquoi amener quatre armes au lieu d’une pour abattre un homme ? Qui plus est en pleine nuit, dans la neige, à travers la forêt et sur plusieurs kilomètres ? Car les armes de chasse, ça pèse lourd ! Difficile donc d’imaginer le jeune homme portant plus d’une dizaine de kilos d’armes dans des conditions difficiles pour aller exécuter quelqu’un. C’est d’ailleurs ce qu’argueront ses avocats, qui tenteront de faire commuer le chef d’assassinat en meurtre, voire en violences volontaires ayant entrainé la mort sans intention de la donner. Pour l’anecdote, c’est ce que la Cour avait retenu pour son père, qui avait été condamné à 10 ans de prison et en avait fait 4, alors qu’il était allé chercher un fusil et avait tiré deux balles mortelles à bout portant sur son beau-père…
Verdict
Après 7 heures de délibérations, les jurés ont finalement suivi à peu de choses près les réquisitions de l’avocat général, et ont condamné Maxime G-G pour assassinat à 20 de réclusion criminelle (l’AG en avait requis 22), sans peine de sûreté, et à 10 ans d’obligation de soins et de suivi socio-judiciaire. Une peine relativement clémente pour un assassinat, qui tient sans doute compte du passé cabossé de Maxime et de ses progrès depuis son incarcération, mais qui semble particulièrement lourde par rapport à celle que son père avait reçue pour des faits similaires. Cela donne le sentiment que la justice s’en voulait d’avoir été trop clémente avec le père et avait décidé de punir plus sévèrement le fils pour faire bonne mesure.
Entendez-moi bien : Maxime a tué un homme et il méritait d’être condamné, il n’y a aucun doute là-dessus. Et peut-être qu’après tout, être dans un environnement cadré, loin de ses parents toxiques, avec un suivi psychologique adapté, est la meilleure chose qui puisse lui arriver pour reconstruire sa vie sur de bonnes bases. Car sans peine de sûreté, il peut espérer sortir de prison lorsqu’il aura la petite trentaine. Espérons qu’il fera alors les bons choix, car il aura encore sa vie devant lui.
André, lui, ne l’a plus. Sa fille Maïté a repris son exploitation pour honorer sa mémoire, et « [s]’oublie au travail » pour tenter de surmonter ce drame. Chacun au village a repris sa vie, avec le fantôme du cowboy qui plane encore au-dessus des champs. L’un des amis proches d’André raconte : « Je pense à lui à chaque fois que je vais à la chasse, parce que j’utilise le même type d’arme à double canon que celle qui l’a tué. On tire une première balle non létale pour arrêter l’animal ; et puis la deuxième balle… » Il se tait, la voix étranglée, sous le coup de l’émotion.

Post scriptum
Cette semaine de procès s’est achevée un vendredi soir, après 23h00. En sortant du tribunal, alors que l’audience civile commençait, je suis allée boire un verre au centre-ville. L’ambiance était festive, il y avait plein de gens qui riaient, trinquaient ou dansaient avec insouciance, et alors que je sirotais un cocktail en regardant autour de moi, j’ai été saisie par la beauté et la fragilité de ce que je voyais.
On n’est pas tous égaux face au bonheur. Pour certain, c’est facile, parce qu’ils ont grandi dans le bon environnement ou ont su s’extirper d’un milieu difficile grâce à leur caractère. Pour d’autres, c’est une chimère, quelque chose qui n’arrivera jamais qu’aux autres. Parmi eux, certains dorment seuls pendant que ces autres boivent et dansent, libres, parce que la mort et le malheur ne rodent pas autour d’eux depuis toujours.
Je me suis réjouie d’être là, parmi les heureux, mais j’ai aussi ressenti une sincère tristesse pour ces deux jeunes gens qui se sont retrouvés face à face dans une Cour d’Assises, alors qu’ils auraient pu faire partie de ces jeunes insouciants qui s’aiment et s’amusent en célébrant l’arrivée du weekend.
J’espère qu’ils pourront tous les deux se reconstruire et s’autoriser à être heureux un jour…