Le procès
Pendant son procès, qui s’est tenu sur quatre jours en décembre 2024, Bruno M a offert une prestation à la fois navrante et effrayante. Il passe la plupart de son temps les bras croisés, la tête baissée et les yeux fermés, comme s’il dormait, et quand il s’ennuie trop ou qu’on ne s’intéresse pas assez à lui, il soupire bruyamment ou fait des commentaires entre ses dents – la Présidente le reprendra plusieurs fois à cause de ça. A chacune de ses interventions, il s’entête à dire qu’il a agi pour se défendre face à des agresseurs armés. S’obstinant à nier les évidences, il s’empêtre dans ses contradictions, et quand on le met face à la réalité des faits, il s’énerve. Fidèle au portrait que les experts ont brossé de lui, il minimise les faits, se permettant même de dire aux victimes avec désinvolture « J’ai le même âge que vous, moi aussi j’aime la vie et faire la fête, on aurait pu être copains » ou « Vous n’avez rien à craindre de moi, ce qui est fait est fait ». Des déclarations mal perçue par ces garçons traumatisés, qui ont fait preuve d’énormément de courage pour faire face à leur agresseur pendant ces quatre jours, et qui n’ont jamais reçu la moindre excuse sincère de sa part.
Comme explication à ses gestes meurtriers, il mentionne les deux tentatives de meurtre à son encontre : « C’était un réflexe, je suis vif, vous savez ce que j’ai vécu, c’est comme ça » ou encore, à propos de l’agression de Dylan « Il m’a mis un coup alors je lui ai donné un coup de couteau, c’est automatique ». Quand on lui demande pourquoi il a répondu à un coup de poing par un coup de couteau, il répond juste « Je l’ai frappé avec ce que j’avais dans la main ». Sous-entendu, il aurait pu le frapper avec n’importe quoi, mais malheureusement pour Dylan, à ce moment-là, c’était un couteau de cuisine… En résumé, Bruno M a reproduit sur d’autres ce qu’il avait lui même vécu, mais dans un contexte complètement différent : lui avait été ciblé en représailles d’un vol qu’il avait commis – une histoire de voyous – tandis que le motif de l’agression de Dylan, Théo et Anthony est beaucoup plus léger, voire ridicule comparé à la violence de la réponse.
Bruno M se défend donc mal, et il n’est pas aidé par son avocate, Me Tabani, qui émet un doute sur l’intention de tuer de son client et tente de faire commuer le chef d’accusation en violences volontaires. Elle rappelle aux jurés que ce doute doit profiter à l’accusé, ce qui parait presque insultant pour les victimes au vu des nombreux témoignages d’experts qui ont déclaré que les trois victimes avaient été frappées dans des zones vitales et auraient dû mourir… Elle aussi minimise les faits, en disant c’est une bagarre qui a dégénéré et non une tentative de meurtre, et que ce genre d’affaire se juge normalement en correctionnelle et pas aux Assises. Puis elle enchaine en émettant l’hypothèse que le chef d’accusation a été soufflé par les avocats suisses des victimes, insinuant par là même que la justice française ne serait pas indépendante…
En mettant l’accent sur la bagarre qui a mal tourné, elle en profite pour incriminer les victimes : eux avaient bu et fumé un peu de cannabis, donc leurs témoignages ne sont pas fiables, tandis que la famille M venait d’arriver et n’avait rien consommé, ce qui signifie automatiquement qu’on peut prendre leurs témoignages comme parole d’évangile… Sauf que les blessures des trois garçons, elles, ne mentent pas ! Une fois de plus, eux et leurs proches ont du faire preuve de beaucoup de courage pour encaisser ces attaques non justifiées et humiliantes de la part de cette avocate qui, à mon avis, s’est égarée complètement dans cette plaidoirie qui victimise son client et blâme les victimes, en dépit des évidences et du sentiment général qui se dégage du procès.
Heureusement pour eux, les victimes avaient à leurs côtés un excellent avocat, un ancien Bâtonnier du barreau de Genève, Me Spira. Méthodiquement, celui-ci reprend les témoignages et les preuves présentés pour démontrer que 1) Bruno M est bien venu à la fête foraine avec un couteau, et qu’il ne l’a pas trouvé sur place comme il le prétend, et 2) qu’il a bien eu l’intention de tuer vu le calme avec lequel il frappe ses victimes une à une, uniquement dans des zones vitales. Il met en avant la noirceur de Bruno M, qui contraste avec l’humanité de ses victimes. Il décrit l’accusé comme très énervé, prêt à exploser, qui ne sait pas gérer ses émotions. Il dit que ce soir-là, Bruno M était parti à la chasse, pour tuer. Pour l’avocat, il n’y a aucune prise de conscience de sa part, et « encore aujourd’hui, le chemin n’a même pas encore été entamé » par rapport à ses victimes. Quant à celles-ci, elles tentent de se reconstruire comme elles peuvent après ce drame qui a bouleversé leurs vies à jamais, tout en gardant une pensée pour Bruno M et sa famille ; Me Spira relatera que Théo « se rend malade » à l’idée de causer de la détresse à la famille M et de gâcher la jeunesse de Bruno M en l’envoyant en prison. Une humanité qui ne fait que contribuer à les rendre attachants, et à vouloir que justice leur soit rendue comme il se doit.
Du côté de l’Avocat Général, la messe est dite. Dans une très belle plaidoirie, il reprend l’imagerie de la guerre pour rappeler le passé judiciaire de Bruno M et son implication dans le trafic de stupéfiants : « Oui c’est une guerre, mais vous avez choisi cette guerre ». Il ajoute que « celui qui vit par le glaive, périra par le glaive » : Bruno M s’est laissé happer dans un monde d’ultraviolence, et cette violence est devenue partie intégrante de lui. « La violence, vous la vivez dans votre chair », dit-il en référence aux deux tentatives de meurtre et aux nombreuses cicatrices qu’elles ont laissées. « Quand il [Bruno M] est dans la violence, il est dans son monde, il gère. » L’AG ne nie pas le vécu traumatique de Bruno M, mais il juge qu’il avait les moyens de s’en sortir et qu’il ne l’a pas fait. « Vous faites preuve d’une incroyable résilience mais aussi de dureté vis à vis de vous-même. […] Il y a des jeunes qui arrivent à se sortir de ce milieu, pourquoi pas vous ? »
Reprenant sa métaphore guerrière, il cite l’Iliade comme l’un des textes fondateurs de notre civilisation, mais également comme un exemple de violence absolue. Il parle d’Achille, l’un des héros de l’Illiade, qui fut si violent et sans pitié que les dieux ont du intervenir pour l’arrêter. Et il conclut : « Ce soir-là, vous avez été Achille. » L’AG se dit convaincu de l’intention homicide, qui est « la rencontre entre une arme létale et une zone vitale », ce qui a été le cas pour les trois victimes. Il requiert 25 à 28 ans de prison – une peine plus ou moins égale à l’âge de l’accusé – et pour enfoncer le clou, ajoute qu’il ne croit pas à sa réinsertion au vu des résultats des expertises et de son comportement tout au long du procès. Des réquisitions élevées, mais qui rassurent les parties civiles – et les membres du public présents lors du procès, qui ont pu constater par eux-mêmes l’attitude désinvolte voire déconnectée, et la personnalité inquiétante de l’accusé.

Le verdict
Après cinq heures de délibérés, la Cour d’Assises d’Annecy a condamné Bruno M a 24 ans de prison assortis d’une injonction de soins de 7 ans. A l’annonce de sa peine, Bruno M sourit. Il a les mains derrière le dos, et il agite les épaules de droite à gauche, d’abord doucement, puis de plus en plus fort. Je le regarde et je comprends qu’il va se passer quelque chose ; et soudain, il explose. Alors que la Présidente continue de lire le verdict, il se met à hurler comme un fou en tapant contre la vitre du box et en se jetant sur le côté. Les trois gardiens présents avec lui dans le box, prévoyants, s’étaient positionnés autour de lui et le maitrisent rapidement. Alors qu’ils tentent de le faire sortir du box, Bruno M se débat et crie à l’adresse des victimes « Sales fils de p*tes ! Jamais je ferai 24 ans pour vous ! Je vais vous n*quer vos mères ! », le tout accompagné d’un signe d’égorgement. Les gardiens finissent par réussir à le faire sortir et l’enferment dans une cellule à l’extérieur du box. On l’entend encore hurler et taper contre les barreaux pendant plusieurs minutes.

Dans la salle, c’est l’effarement. Pendant sa crise dans le box, la famille de Bruno M s’est levée et a quitté la salle, tête basse, sans un regard ni un geste pour lui. En ce dernier jour du procès, ils avaient amené avec eux le petit dernier de la fratrie, celui qui avait 9 ans à l’époque at qui avait été traumatisé par la rixe à la fête foraine. Quel triste spectacle il s’est à nouveau vu infliger… Du côté des parties civiles, Anthony et Dylan se sont effondrés en pleurs, soutenus par leurs mères qui n’en mènent pas large non plus. Théo a le regard fixe et ne bouge pas, comme s’il venait de voir un fantôme. Et en réalité, c’est exactement ce qu’il a vu : la perte de contrôle de Bruno M, ce déchainement soudain de violence, ce regard noir, c’est ce qu’ils ont vu tous les trois le soir du 24 juillet 2021, et qui a failli leur coûter la vie. Pour eux, le chemin est encore long vers la guérison. Et pour leur bourreau, il est encore long jusqu’à la rédemption. Et je ne sais pas si la prison, les psychologues, les mères et les prières auront suffisamment de pouvoir pour que chacun y parvienne…