Après le drame

L’instruction

C’est une instruction un peu particulière qui a été menée pour cette affaire, étant donné que les faits se sont déroulés en Suisse, et qu’une partie des protagonistes a été jugée là-bas. Rappelez-vous, les parents de Bruno M ont été arrêtés par la police Suisse et placés en détention provisoire le soir du crime. La justice suisse étant beaucoup plus rapide que la justice française, tous les mis en cause avaient été jugés et avaient déjà commencé à purger leurs peines pendant que l’instruction suivait son cours en France.

Ainsi, les trois victimes et d’autres membres de leur groupe ont été condamnés à des peines-amendes et de prison avec sursis pour leur participation à la rixe et les violences commises contre la famille M. Du côté des M, la fille adolescente a reçu une peine-amende, la mère Madeleine a pris six mois de prison avec sursis, et la peine la plus lourde revient à Bruno le père, condamné à trois ans et demi de prison fermes pour les violences commises, en particulier le coup de pied dans la tête d’Alexis (qui avait initialement été qualifié de tentative de meurtre tant il était dévastateur, mais qui a ensuite été requalifié en violences volontaires).

Bruno M, pendant ce temps, est détenu en France, d’abord à Bourg-en-Bresse, puis à Grenoble, et enfin à Aiton. Il a été transféré un première fois car il a été mêlé à une mutinerie, puis une seconde fois à cause de soupçons de corruption passive sur un surveillant pénitentiaire (bien que l’enquête ne donnera rien). En prison, Bruno M « attend ». Il a eu une petite fille, qu’il a reconnue mais qu’il ne voit pas grandir, et ça ne semble pas le préoccuper outre-mesure. Sa famille – c’est à dire ses parents et ses frère et sœur – lui manque, il regrette d’être privé de liberté car il ne peut pas passer de temps avec eux. Une fois de plus, la toute-puissance du clan familial ressurgit. Sa famille n’ira toutefois pas le voir en détention, faute de moyens.

En prison, Bruno M s’occupe pour passer le temps, mais sans grande conviction. Il s’est inscrit en CAP Vente mais a raté deux fois l’examen. Il fait des formations sur le développement durable et l’égalité hommes/femmes, mais il ne semble pas vraiment savoir pourquoi. Il fait du sport pour « [se] défouler », et d’autres activités pour « [se] divertir et [s]’instruire ». Il ne travaille pas beaucoup – il a été auxiliaire d’étage pendant un temps, mais il a dû arrêter après un incident au cours duquel le surveillant qu’il accompagnait s’est retrouvé « accidentellement » enfermé en cellule avec un détenu agressif… Chaque fois qu’il est impliqué dans un incident, il dit que ce n’est pas sa faute. Il n’a pas l’air de prendre la détention très au sérieux, il n’est pas investi dans sa réinsertion, il attend juste que le temps passe pour pouvoir sortir et retrouver sa famille.

De son récit sur sa détention, il ressort que Bruno M a l’air persuadé qu’il ne sera pas condamné à une lourde peine et qu’il pourra bientôt reprendre le cours de sa vie à l’extérieur. Un signe qu’il n’a pas pris conscience de la gravité de ses actes, ce qui en dit long sur sa dangerosité pour la société…

Les expertises

Trois expertises ont permis de mettre en lumière la personnalité de Bruno M : l’enquête de personnalité, l’expertise psychologique et l’expertise psychiatrique.

La première, réalisée par une ancienne greffière, met en avant le côté travailleur et honnête des parents, qui n’ont jamais été sans emploi et n’ont jamais gagné d’argent illégalement. Un exemple important pour le jeune Bruno M, qui dira pourtant plus tard que pour lui, travailler pour gagner sa vie n’est pas une option. L’enquêtrice parle également de l’absence du père de Bruno M pendant son adolescence, qui a créé un manque de repères importants à cet âge-là. Ironiquement, c’est Bruno lui-même qui parlera de sa vision de l’éducation à la barre : « les enfants c’est comme les plantes, si on leur met un tuteur droit, ils poussent droit, mais si on leur met un tuteur de travers ils poussent de travers ». Il faut croire que lui-même n’avait pas le compas dans l’œil… mais il est lucide ! Car il ajoutera a propos de Bruno M : « Ses défaillances de fils, ce sont mes défaillances de père. » Le vide laissé par Bruno – pendant qu’il était en prison – a été comblé par la mère et la grand-mère paternelle de Bruno M. Celles-ci l’ont « surprotégé » ; sa grand-mère lui donnait tout ce qu’il voulait, et sa mère ne lui fixait pas de limites, ce qui a pu créer chez lui des problèmes de gestion de la frustration. Il se définit lui-même comme « catégorique » et « mauvais perdant », des traits qu’on retrouve souvent chez les enfants-rois. Plus inquiétant, l’enquêtrice dit qu’il a conscience de ses actes, mais pas du préjudice porté à autrui. Selon lui, il n’a pas de réparations à faire car c’est lui la victime.

Une théorie confirmée par l’experte psychologue. Mais selon elle, s’identifier comme une victime est une étape importante du processus de guérison, mais on ne peut pas rester une victime toute sa vie. Pour avancer, il faut impérativement que Bruno M accepte sa part de responsabilité dans les souffrances infligées à ses victimes, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. L’experte décrit Bruno M comme un être influençable, avec une intelligence dans la moyenne inférieure. Il est impulsif, mais il n’est pas dominé par ses pulsions. Le traumatisme lié aux deux tentatives de meurtre contre lui fait qu’il est toujours sur le qui-vive, il se sent toujours en danger de mort, et il a un instinct de survie très développé. A chaque fois qu’il a un accrochage – même mineur – avec d’autres personnes, il a « une reviviscence du vécu traumatique » qui le pousse à passer à l’acte. Pour lui, l’attaque préventive est seulement un acte de défense ; pas étonnant donc qu’il soit convaincu d’avoir agi en état de légitime défense parce qu’il a eu peur pour sa vie le soir des faits…

L’experte psychologue parle d’ « état limite », autrement connu sous le nom de trouble de la personnalité limite, ou ‘borderline’. Ce trouble « se caractérise par une tendance constante à l’instabilité et l’hypersensibilité dans les relations interpersonnelles, l’instabilité au niveau de l’image de soi, des fluctuations d’humeur extrêmes, et l’impulsivité. […] Les stress vécus dans la petite enfance peuvent contribuer au développement d’un trouble de la personnalité limite (borderline). Une anamnèse de séparation des parents, et/ou de perte d’un parent au cours de l’enfance est fréquente chez les patients souffrant d’un trouble de la personnalité limite. […] Les patients présentant ce trouble ont des difficultés à contrôler leur colère et éprouvent souvent une colère inappropriée et intense. »[1] Une mauvaise gestion de leurs émotions poussent les personnes atteintes de ce trouble au passage à l’acte, contre eux-mêmes ou contre autrui, sans sortir de la réalité. La personne est consciente de ce qu’elle fait, son discernement n’est ni aboli ni altéré. Un diagnostic qui fait froid dans le dos…

Mais le coup de grâce vient sans doute de l’expert psychiatre, qui a examiné Bruno M peu après son arrestation. Son témoignage a été assez court (15 ou 20mn) mais très précis et assuré. Selon le médecin, Bruno M lui a relaté les faits de la nuit du 24 juillet 2021 dans les détails, avec beaucoup de calme. Cela tranche avec ce qu’il a l’habitude d’entendre, à savoir des récits brouillons et confus, omettant souvent les détails les plus graves – et les plus importants – car les mis en cause sont dans un état de choc qui ne leur permet pas d’avoir une vision claire de ce qui s’est passé. Bruno M n’est pas choqué ; il reconnait les coups de couteau, mais parle de violences plutôt que de tentatives de meurtre, et il dit déjà qu’il n’a fait que se défendre contre des « agresseurs » (qui n’étaient pas armés, mais lui maintient le contraire). L’expert n’a décelé aucun problème de nature psychiatrique. Il dit que Bruno M lui a parlé de stress post-traumatique, mais il n’en a pas les symptômes, comme la dépression ou la névrose. Il ne présente pas non plus de psychose, de délires ou d’hallucinations. Le médecin confirme donc que l’accusé était parfaitement dans la réalité au moment où il a commis les actes, et écarte l’irresponsabilité pénale, mais il demande une injonction de soins pour « circonscrire son extravagance ». Il confirme que Bruno M est colérique et intolérant à la frustration. Il parle même de traits psychopathiques : il est antisocial, agressif, a du mal à créer des liens, montre peu de remords, et se victimise. Comme sa collègue psychologue, il pense qu’il est réadaptable, mais pas sans un sérieux suivi psychologique, car il n’a même pas encore pris conscience de la gravité de ses actes, ce qui ne laisse rien présager de bon pour son avenir…

[1] Dr Mark Zimmerman, psychiatre, spécialiste de l’anxiété, de la dépression et des troubles de la personnalité. Le Manuel MSD, Septembre 2023. Lien vers la source : cliquez ici

La lame de la discorde

L’un des éléments centraux de ce procès pour tentatives de meurtre, c’est bien évidemment l’arme du crime. D’après les nombreuses images vidéos prises le soir du crime, on peut clairement voir qu’il s’agit d’un couteau de cuisine de 20 à 25cm. On n’a jamais retrouvé ce couteau ; Bruno M dit l’avoir jeté dans le lac Léman juste après s’en être servi contre les trois victimes. Ce qui interpelle, c’est la raison qu’il invoque pour s’être débarrassé de l’arme : à l’expert psychiatre, il dit qu’il a jeté le couteau « pour qu’il ne soit pas réutilisé » – mais par qui ? Et a la barre, il dit qu’il l’a jeté « pour éviter que ça se retourne contre [lui] ou de continuer à faire n’importe quoi ». Cela confirme à mon sens qu’il avait pleinement conscience de ce qu’il faisait à ce moment-là, et qu’il a agi de manière calculée et rationnelle quand il a fait le choix de se débarrasser de l’arme dans l’eau, c’est à dire dans un endroit où soit on ne la retrouverait pas, soit il serait très difficile de prouver qu’il l’avait manipulée.

On ignore également d’où vient cette arme. La famille M au complet a soutenu qu’ils n’avaient pas vu Bruno M partir de chez eux avec un couteau, et qu’ils ignoraient qu’il en avait un sur lui. Certains sont même allés jusqu’à nier – contre toute évidence – avoir vu le couteau dans la main de Bruno M alors qu’il était en train d’attaquer Théo, Dylan et Anthony à quelques mètres d’eux. Sur une vidéo filmée par un utilisateur de SnapChat et présentée lors du procès, on voit clairement Bruno M se lancer à la poursuite de Dylan avec la lame à la main, et on entend sa mère qui hurle « Oh mon Dieu il va le tuer ! » Lorsque qu’on fait visionner cette vidéo aux parents de Bruno M, ils tenteront de dire que c’était seulement une expression, comme ça se dit souvent à Marseille, mais qu’ils ne pensaient pas réellement que leur fils allait tuer quelqu’un. A mon sens, ces parents se sont retrouvés dépassés par des évènements qu’ils ont eux même contribué à déclencher : ils ont tous les deux un tempérament de feu, ils se sont sans doute disputés avec le groupe de jeunes à cause d’une bousculade, mais ils n’avaient pas perçu à quel point leur fils était perturbé et dangereux ; et quand ils ont vu la situation déraper, ils ont paniqué et agi de manière désespérée. Encore aujourd’hui, ils le défendent du mieux qu’ils peuvent, et on sent qu’il y a derrière cela un réel sentiment de culpabilité de n’avoir pas vu venir le danger.

Pour en revenir à l’arme, Bruno M lui-même dit qu’il n’est pas parti de chez lui avec mais qu’il l’a trouvé à la fête foraine – mieux, qu’il est « apparu » de manière providentielle, pile au moment où il se faisait attaquer par le groupe de jeunes et que sa vie était en péril. Mais lorsqu’un témoin viendra dire qu’il a entendu Madeleine ordonner à son fils de les « planter » (ce qui n’a pas pu être prouvé), il dit qu’elle n’a pas pu lui dire ça car « elle ne savait pas qu[‘il] avai[t] un couteau ». Cette phrase, prononcée le dernier jour du procès, marque un tournant car elle confirme que Bruno M a menti et qu’il avait bien un couteau sur lui lorsqu’il est parti à la fête foraine ce soir-là. Et qu’effectivement, sa famille n’était sans doute pas au courant. C’est également à ce moment-là que le côté le plus sombre et inquiétant de sa personnalité se révèle, car on a du mal a comprendre qu’un jeune homme de 25 ans, qui va à une fête foraine avec sa famille (dont un enfant de 9 ans), trouve normal d’emporter avec lui un énorme couteau de cuisine sans raison particulière. Et de s’en servir contre trois personnes dans les minutes qui suivent l’arrivée de la famille à la fête foraine, pour une simple bousculade. On se dit que n’importe qui aurait pu être victime ce soir-là, et que ça pourrait nous arriver aussi, et cette pensée fait froid dans le dos…

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